Elle t'écrasera la tête
(Genèse 3, 15)

« Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius; ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis calcaneo ejus. (Genes. III, 15.) “Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, et ta race et la sienne; elle-même t'écrasera la tête, et tu mettras des embûches à son talon.”

« Jamais Dieu n'a fait et formé qu'une inimitié, mais irréconciliable, qui durera et augmentera même jusques à la fin; c'est entre Marie sa digne Mère, et le diable : entre les enfants et serviteurs de la Sainte Vierge, et les enfants et suppôts de Lucifer; en sorte que la plus terrible des ennemies que Dieu ait faites contre le diable est Marie sa sainte Mère; il lui a même donné, dès le paradis terrestre, quoiqu'elle ne fût encore que dans son idée, tant de haine contre ce maudit ennemi de Dieu, tant d'industrie pour découvrir la malice de cet ancien serpent, tant de force, pour vaincre, terrasser et écraser cet orgueilleux impie, qu'il l'appréhende plus, non seulement que tous les Anges et les hommes, mais en un sens que Dieu même : ce n'est pas que l'ire, la haine et la puissance de Dieu ne soient infiniment plus grandes que celles de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées; mais c'est l° parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d'être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l'humilie plus que le pouvoir divin; 2° parce que Dieu a donné à Marie un si grand pouvoir contre les diables, qu'ils craignent plus, comme ils ont été souvent obligés de l'avouer malgré eux, par la bouche des possédés, un seul de ses soupirs pour quelque âme, que les prières de tous les Saints, et une seule de ses menaces contre eux, que tous leurs autres tourments.

« Non seulement Dieu a mis une inimitié, mais des inimitiés, non seulement entre Marie et le démon, mais entre la race de la Sainte Vierge et la race du démon; c'est-à-dire, que Dieu a mis des inimitiés, des antipathies et haines secrètes entre les vrais enfants et serviteurs de Marie et les enfants et esclaves du diable; ils ne s'aiment point mutuellement, ils n'ont point de correspondance intérieure les uns avec les autres. Les enfants de Bélial, les esclaves de Satan, les amis du monde (car c'est la même chose), ont toujours persécuté jusqu'ici, et persécuteront plus que jamais ceux et celles qui appartiennent à la Très Sainte Vierge; comme autrefois Caïn persécuta son frère Abel, et Esaü son frère Jacob, qui sont les figures des réprouvés et des prédestinés; mais l'humble Marie aura toujours la victoire sur cet orgueilleux, et si grande, qu'elle ira jusqu'à lui écraser la tête, où réside son orgueil : elle découvrira toujours sa malice de serpent, elle éventera ses mines infernales, elle dissipera ses conseils diaboliques, et garantira jusqu'à la fin des temps ses fidèles serviteurs de sa patte cruelle; mais le pouvoir de Marie sur tous les diables éclatera particulièrement dans les derniers temps, où Satan mettra des embûches à son talon, c'est-à-dire, à ses humbles esclaves et à ses pauvres enfants, qu'elle suscitera pour lui faire la guerre. Ils seront petits et pauvres selon le monde, et abaissés devant tous comme le talon, foulés et persécutés, comme le talon l'est à l'égard des autres membres du corps; mais, en échange, ils seront riches en grâce de Dieu, que Marie leur distribuera abondamment; grands et relevés en sainteté devant Dieu, supérieurs à toute créature par leur zèle animé, et si fortement appuyés du secours divin, qu'avec l'humilité de leur talon, en union de Marie, ils écraseront la tête du diable et feront triompher Jésus-Christ. »

(Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge.)